A l’image de son personnage
principal, Thang, chaste mathématicien de Hanoi introverti, Cua Roi
présente le défaut de se replier dans une timidité de surdoué.
Introversion qui finit par déteindre sur les qualités du film
au point de le ramener à une magnanime rêverie.
Thang enseigne à
des adultes les mathématiques et, accessoirement, le français.
Comique et grave, il porte des lunettes à montures épaisses, est
traité de poète, s’enfuit à vélo - comme pris d’Amok
- lorsqu’on on lui adresse la parole, ne connaît aucune vie sexuelle ni
amoureuse. Ses élèves le chérissent et le charrient.
Le personnage de Thang,
porté par un jeu d’acteur sensible, est assez authentique pour que l’on
s’y intéresse. Type même du professeur humble, sans ambition, au
talent secret, il assume la vétusté de sa vie, distille le bien
avec une pudeur qui le prive même de la conversation d’un entourage bienveillant.
Autour de Thang gravitent
un groupe de gens admiratifs et jaloux parce que leurs voies professionnelles
et familiales impliquent des comportements contraires au sien. Ils l’aiment
et lui en veulent, de n’être pas moralisateur, et sont irrités
par sa modestie suffisante, son silence neutre. Ni sage, ni tourmenté,
mais posé, Thang interroge pour nous le rapport à l’argent, le
superflu des congrès, de la réussite sociale, la vanité
du couple; il remet aussi en cause la vie " normale ", pour
ce qu’elle induit de rapports de force.
Symbole d’un jeune Vietnam
subtilement contaminé par le mode de vie capitaliste, la fille d’une
ancienne élève de Thang, à la fois porteuse des nouvelles
valeurs et critique à leur égard, envie la forme de résistance
passive qu’oppose au monde la vie de Thang. Pour le secouer, elle envoie à
la chaîne locale de télévision une fausse annonce: Thang
y prie " celui qui a perdu son porte-monnaie sous l’amandier "
de venir le récupérer. Les gens débarquent chez Thang pour
réclamer l’argent…
La démarche insolente
de la jeune femme aurait pu ébranler le film, plus assoupi qu’un hippopotame
endormi; mais c’est l’opiniâtreté de Thang qui l’emporte et le
film se clôt par une autre fuite nocturne de Thang sur son vélo,
le feu de circulation clignotant à l’orange, comme pour signaler l’inutilité
du héros.
Cua Roi n’est
pas très convaincant parce que Thang est un personnage platement taciturne,
égal à lui-même, inébranlable malgré la sensibilité
que l’on soupçonne, et de ce fait plastiquement lassant. Rien ne bouleverse
la situation de départ. Si cette constance définit son univers,
elle exclut aussi l’ouverture au monde, et conduit à un statu quo
prévisible. Le film a le mérite de se conformer à ce qu’il
raconte, mais ce mol renoncement à la communication, sans être
de l’indifférence, irrite, et empêche tous, personnages, spectateurs,
cinéaste, de s’investir ici dans la vie, là dans le film. La passivité
n’est pas forcément cinégénique et l’inaction, même
louable, ne rend pas toujours lucide.