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Festival de Berlin 2005
Internationale Filmfestspiele Berlin
La chronique
de notre envoyé spécial, Raphaël Lefèvre
Vendredi 11 février
C'est le dernier film de Régis Wargnier qui a ouvert le Festival. Je n'ai pas pu le voir (il y a un monde fou), mais Man to man, film sur un anthropologue en Afrique au XIXe siècle, avec Joseph Fiennes et Kristin Scott-Thomas semble avoir été accueilli assez froidement et n'a guère convaincu les critiques, qui parlent d'académisme - ce dont on ne s'étonnera pas... Le temps m'est compté, je reviens demain parler des films vus aujourd'hui, Hotel Rwanda et The Dying Gaul.
Bons baisers d'Allemagne...

Samedi 12 février
Revenons donc sur les films vus hier.
En compétition, Hotel Rwanda de Terry George (scénariste de Jim Sheridan sur Au nom du père et The Boxer). Avec Don Cheadle en manager d'hôtel rwandais admiratif du style occidental, dévoué à ses employeurs belges (Jean Reno fait de courtes apparitions en directeur-au-bras-long de la compagnie Sabena), Nick Nolte en colonel canadien de l'ONU, plein de bonne volonté mais impuissant, dépassé par les événements et par les ordres (interdiction de tirer) et Joaquin Phoenix en cameraman qui filme l'horreur du massacre des Tutsis par les Hutus tout en sachant qu'elle ne servira qu'à apitoyer l'Occidental bien-pensant pendant son dîner. Une prodution anglo-italo-sudafricaine dans un style très hollywoodien, une sorte de Liste de Schindler située à Kigali en 1994...
Un film qui participe au culte de l'histoire vraie édifiante et qui, à part endosser le fameux devoir de mémoire et faire l'apologie d'un héros ordinaire, ne réfléchit pas beaucoup. Malgré son respect évident pour les Rwandais et son désir d'échapper à un regard hollywoodien, ce film entièrement tourné en anglais - l'excellent Don Cheadle (Ocean's 11/12, Mission to Mars...) a beau avoir travaillé son accent local, on a un peu du mal à adhérer - ne parvient à se dépêtrer des tares du cinéma majoritaire, les tics de scénario conventionnel et le sentimentalisme ("You are a good man, Paul Rusesabagina..."). Peut-être faut-il ce genre de films, mais si ce n'est dans une perspective historique et didactique, Hotel Rwanda, exempt de toute mise en scène, n'a malheureusement que peu d'intérêt. On verra dans quelques jours dans Sometimes in April, un autre film sur le génocide rwandais, comment l'haïtien Raoul Peck (Lumumba) a traité le sujet. Soit dit en passant, quand on voit l'équipe (réalisateur, acteurs et personnes réelles dont le film est inspiré) de ce film, qui se voudrait sérieux et politiquement percutant (quelques bonnes vérités sont assénées ou glissées dans le dialogue, comme l'indifférence assourdissante de l'Occident ou la vente d'armes française), parader en costard devant les photographes, face au palais d'un festival qui revendique clairement sa dimension glamour, ça laisse un rien circonspect. Pas très digne, si ce n'est indécent. Et très révélateur de la dimension "divertissement" qui subsiste malgré tout dans le film.
Dans la section parallèle Panorama, l'américain Craig Lucas présentait The Dying Gaul, avec Peter Sarsgaard et Campbell Scott. Il faudrait se demander sérieusement à quoi l'on reconnaît si facilement un film indépendant américain... Présenté à Sundance, The Dying Gaul en a ce mélange de savoir-faire et de modestie, cette plus-value d'audace par rapport aux films de studio assorti d'une indécrottable frilosité américaine. Par certains côtés, le film fait pourtant penser à la saine franchise d'un Tony Kushner (à qui le film est dédié). L'homosexualité y est abordée sans trop de pincettes (mais un peu quand même : restent des ombres chinoises pour les scènes de cul). On ne sait trop ce qu'il manque au film pour avoir une véritable tenue, tant il développe un ton particulier. A l'instar de la musique de Steve Reich qui l'accompagne, le film ne suit aucune progression dramatique traditionnelle, n'atteint aucun climax, reste toujours sur un entrelacs horizontal de scènes ouatées dessinant une tragédie en demi-teinte, imprégnée de mensonges et de culpabilité. On a l'impression que tout est chuchoté, bien que tout soit joué tout à fait normalement par le touchant Peter Sarsgaard et l'impressionnant Campbell Scott. Une semi-réussite assez intriguante.
Vu aujourd'hui, Crustacés et coquillages d'Olivier Ducastel et Jacques Martineau (Jeanne et le garçon formidable, Drôle de Félix, Ma vraie vie à Rouen), joyeuse comédie dominée par l'absence de contrainte, est en quelque sorte l'antithèse du film précédent. A la faveur de vacances à la mer, une petite famille découvre les joies de la sexualité libre et en toute bonne conscience. Ce véritable manifeste utopique dont les mots d'ordre sont "pas de culpabilité" et "ordre désorganisé" est un méli-mélo très gai (et pas mal gay aussi...), frais, coloré, sensuel, marqué par une jolie liberté de ton. Il revendique pleinement l'idée, énoncée par l'impeccable Gilbert Melki, que tout n'a pas besoin d'être carré, en ordre, bien rangé... d'où des numéros chantés et dansés un peu brouillons mais dégageant une indécrottable bonne humeur. Comme tout le film, d'ailleurs, dans lequel même les moments d'appréhension, de tristesse ou de colère semblent empreints d'une irrémédiable sérénité. Valeria Bruni-Tedeschi y est royalement drôle. Cela n'atteint pas la profondeur et l'amplitude de Demy, ni la perfection pétillante de Lubitsch, mais son mélange de modestie et d'audace s'avère plutôt payant.
A plus !
Conférence de presse:
Crustacés et coquillages
 Dimanche 13 février
Vu hier, après le rayon de soleil de Ducastel et Martineau (le temps sur Berlin oscille entre pluie battante, bruine, neige ou violentes bourrasques), One Day in Europe de l'Allemand Hannes Stöhr, tentative de film cuménique composé de quatre segments introduits par une petite animation, situés aux quatre coins de l'Europe (au sens large) : une Anglaise à Moscou ; un Allemand à Istambul; un Hongrois à Saint-Jacques-de-Compostelle ; deux français (dont Rachida Brakni) à Berlin. On dirait un bout-à-bout de courts métrages sur le thème « On se fait toujours voler ses affaires à l'étranger et comme les flics sont les personnes les moins coopérantes du monde, on est dans la merde ». Bien que ne recourant pas de façon trop grossière aux clichés, l'humour joue essentiellement sur le bureaucratisme pittoresque des polices turque et russe, la joviale désinvolture espagnole, le barrage de la langue, la façon dont les slaves ou les latins baragouinent l'anglais
Le ton, vaguement empreint de millénarisme, est sympathique, mais ça ne va pas bien loin. On n'est même pas dans la dénonciation insidieuse ou la xénophobie involontaire tellement c'est bienveillant, pépère, sans conséquence. Filmé tranquillou, sans bavure, avec un scope à l'affût des paysages bien cadrés, One day in Europe est un film inoffensif.
En compétition comme ce dernier, Asylum de David McKenzie aimerait traiter du désir fiévreux à la manière d'une Jane Campion en évoquant la triste vie, à l'orée des années 60, d'une femme qui tombe dans les bras d'un ténébreux pensionnaire de l'asile psychiatrique où a été muté son mari. Malheureusement, académisme sophistiqué de la mise en scène, personnages transparents, pauvreté psychologique affligeante, érotisme chic et soft, simplisme généralisé unissent leurs forces dévastatrices pour neutraliser tout embryon de trouble, d'expression d'une vérité humaine. Dans ce mauvais mélo particulièrement plat qui, à force d'inconsistance et de sérieux imperturbable, atteint à plusieurs reprises l'humour involontaire, Natasha Richardson, fade sosie d'Emma Thomson, semble se livrer avec Hugh Bonneville (qui était aussi de Man to man) à un concours d'absence de charisme. Ennuyeux.
N'en pouvant plus de la compétition, je m'offre dans une section parallèle un petit intermède musical. Brasileirinho ("petit Brésilien" en portugais), documentaire de Mika Kaurismäki (c'est le frère de qui vous savez), explore sans génie ni passion mais avec honnêteté une forme de la musique traditionnelle brésilienne, le choro. L'intérêt cinématographique n'est pas au rendez-vous, mais au moins la musique latine sait-elle communiquer émotions et bonne humeur.
Retour aujourd'hui à la compétition, où semble se livrer un concours d'académisme (sans compter le dernier Téchiné, qui n'en parvient pourtant pas à relever substantiellement le niveau). Peut-être les films que je n'ai pas vus, Thumbsucker de Mike Mils (d'après les échos, sorte de Ghost world sage mâtiné de Virgin Suicides), Provincia Meccanica de Stefano Mordini (mélo italien) et U-Carmen eKhayelitsha (une version sud-africaine de Carmen), viendraient-ils me contredire, mais aujourd'hui, c'était gratiné. Sophie Scholl Die letzte tage évoque, comme son titre l'indique, les derniers jours de la résistante allemande Sophie Scholl, arrêtée avec son frère pour avoir distribué des tracts séditieux dans sa fac. A moins d'une demi-heure du début du film, elle se retrouve à la Gestapo et c'est parti pour encore une heure et demie de fastidieux interrogatoires où elle commence par nier l'évidence, puis par défendre avec fierté ses belles idées (démocratie, liberté, droits de l'homme, valeur de la vie, bonté de Dieu
) face aux vilains nazis qui n'ont rien compris. Les gentils n'ont pas de charisme, les méchants jouent à celui qui fera le mieux les yeux froncés, la bouche crispée et les cris effrayants, la reconstitution est sobre, modeste mais soigneuse, la photo offre d'impeccables clairs-obscurs désaturés et la mise en scène emballe tout ça avec une désarmante timidité. Encore une fois, l'académisme triomphe.
Espérons que la suite des événements on attend le Guédiguian sur Mitterrand, un film de Sokourov sur Hirohito, le dernier Jacque Audiard avec Romain Duris et The life aquatic with Steve Zissou de Wes Anderson (La famille Tenenbaum), doté d'un casting d'enfer (les habitués Bill Murray, Owen Wilson, Anjelica Huston et Seymour Cassel, et les nouveaux venus Willem Dafoe, Cate Blanchett, Jeff Goldblum, Michael Gambon
) nous ôtera le goût fade qui prévaut jusqu'ici.

Lundi 14 février
Conférence de presse:
Le Promeneur du Champ-de-Mars

Mercredi 16 février Conférence de presse:
Nuage au bord du ciel

Jeudi 17 février Conférences de presse:
De battre mon cur s'est arrêté
Solnze (Le Soleil)

Bilan de la 55e Berlinale
Comme dhabitude, il y eut de tout au Festival de Berlin.
Diverses sections parallèles, comme « Panorama », où se fit remarquer
le délicieux Crustacés et coquillages dOlivier Ducastel et Jacques
Martineau ; « Forum », consacrée au « jeune cinéma »
(ce qui inclut aussi bien le prochain Depardon quun vieux Glauber Rocha),
« Perspectives du cinéma allemand » ; une compétition de courts
métrages ; des films pour enfants ; ainsi que deux rétrospectives,
lune consacrée aux décors marquants du cinéma (de Tati à Greenaway en passant
par Fellini), lautre à lintégralité de luvre de Stanley Kubrick. Et bien
sûr la compétition, où saffrontaient des films aussi divers que le dernier
Téchiné, une uvre méditative russe (Solnze dAlexandre Sokourov) et
quelques ahurissantes démonstration dacadémisme. Décerné le samedi 19 février,
le palmarès du jury présidé par Roland Emmerich est à plus dun égard bien
curieux.
Je ne saurais me prononcer sur les Ours dor (U-Carmen eKhayelitsha
de Mark Dornford-May, une version sud-africaine de Carmen) et dargent (Kong
Que de Gu Changwei, chef opérateur chinois de renom), que je nai pas vus
(dans limposant panier à film que le Festival propose, il faut bien faire des
choix). On notera cependant quil sagit de deux premiers films et quils nont
pas convaincu tout le monde.
Jai vu, en revanche, Sophie Scholl Die Letzten Tage de
Mark Rothemund, qui sest vu attribuer le prix du meilleur réalisateur. Il y a
là matière à perplexité, car en fait de réalisation, il ny a dans cette
édifiante évocation des derniers jours de la résistante allemande éponyme
quune mise en images soigneuse et tiède, pour ne pas dire académique. Son
actrice principale, Julia Jentsch (vue dans The Edukators), ni bonne ni
mauvaise mais déclamant avec conviction les discours bien pensants de son
personnage face à des nazis en furie, a reçu quant à elle le prix de la
meilleure actrice.
Perplexité encore en ce qui concerne lOurs dargent de la
meilleure contribution artistique. Cet équivalent du Prix spécial du jury
cannois, dont le motif est laissé au libre choix du jury, a été décerné au
magnifique Nuage au bord du ciel de Tsai Ming-Liang. Jusquici, pas de
problème, même si le film aurait amplement mérité un Ours dor ; seulement
voilà, le prix a été attribué pour le scénario. On ne niera pas que le film de
Tsai possède des « idées de scénario » (la clé dans le bitume, la
valise qui ne souvre pas
), mais il est avant tout une errance de personnages
somptueusement filmée et sonorisée. On mesure alors ce quun palmarès par
catégories, niant par nature la cohérence esthétique globale vers laquelle un
film tend, peut avoir daberrant. Le film de Tsai Ming-Liang a également reçu
un certain prix Alfred Bauer.
Le prix du meilleur acteur est allé au jeune Lou Taylor
Pucci, acteur principal de Thumbsucker de Mike Mills, que je nai pas vu
non plus, mais quon dit quelque part entre Ghost world et Virgin
suicides. Cest lhistoire dun jeune de 17 ans qui suce encore son pouce.
Du cinéma américain « décalé », en somme, avec règlements de comptes
familiaux à la clé.
Le film de Michel Audiard, De battre mon cur sest
arrêté, na pas été récompensé pour sa mise en scène stylisée ou pour
limpeccable prestation de Romain Duris, mais pour la musique dAlexandre
Desplat, synthèse de rythmiques contemporaines et de nappes aiguës de cordes
mahlériennes (le film traite du grand écart entre violence et sensibilité,
électro et musique classique).
Le prix spécial de lAnge bleu, décerné au meilleur film
européen en compétition a été attribué à Paradise now, qui na
deuropéen que son financement germano-franco-néerlandais, puisquil sagit
dun film israélien. Une réflexion sans fioritures, ambiguë pour certains,
complexe pour dautres, sur lengagement kamikaze palestinien.
Enfin des Ours dhonneur ont été décernés au cinéaste coréen
Im Kwon-Taek et à lacteur espagnol Fernando Fernán-Gomez, et Daniel Day-Lewis
a reçu la Caméra de la Berlinale en remerciement du soutien quil a apporté au
Festival au fil des ans.
On ne regrettera pas labsence dans le palmarès de films
insignifiants ou académiques tels que Man to man de Régis Wargnier (ouh
la mauvaise langue ! je ne lai pas vu
), Asylum de David McKenzie
ou One Day in Europe de Hannes Stöhr. Dommage, en revanche, que Le
Promeneur du Champ-de-Mars soit reparti bredouille. Tout le monde à Berlin
pariait sur Michel Bouquet pour le prix dinterprétation. Le jury a peut-être
voulu surprendre son monde. Pas sûr quil ait trouvé la meilleure combinaison.
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