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L’an dernier,
la première édition du Loft a enflammé les
passions en France.
Beineix a
voulu enregistrer, à froid, les réactions et les commentaires
de téléspectateurs, des producteurs de l’émission,
des journalistes qui en ont rendu compte, d’intellectuels – psychiatres,
sociologues, philosophes, écrivains – qui se sont sentis
poussés à exprimer un point de vue, positif ou négatif,
sur l’émission. Il entrecroise leurs paroles, en examinant
successivement plusieurs des problèmes posés par l’émission :
la jeunesse, l’obscénité, l’enfermement volontaire,
la " télé-poubelle ", le réalisme.
Notre
avis sur l’émission
Le paradoxe central qui
a suscité l’enquête de Beineix est cette réflexion qu’énonce
ici une téléspectatrice anonyme, mais qui fut sans doute l’opinion
de la plupart des spectateurs : " je trouve ça nul mais
je regarde (et j’adore) ". De ce point de vue, la plupart des interlocuteurs
de Beineix, connus ou inconnus, apologistes ou ennemis acharnés du Loft,
souscrivent à ce paradoxe, et le mérite de l’émission consiste
à le mettre en valeur. L’intervention d’Edwy Plenel – rédacteur
en chef du Monde - racontant comment le comité de rédaction
du journal se vidait – quelle que soit l’actualité du jour – juste avant
les " exclusions " du Loft en direct le jeudi soir est à
cet égard saisissante.
La première partie
du documentaire est consacrée à éclairer ce besoin de parole
qu’a suscité cette émission. Un tel phénomène n’est
pas un effet annexe du Loft, il en est une caractéristique essentielle,
que Beineix souligne à juste titre. Non seulement ceux qui détestaient
montaient au créneau pour le dire au lieu de simplement éteindre
leur poste, mais ils s’employaient de plus à justifier le fait qu’ils
en parlaient. Tout ceci éclate dans le témoignage du chroniqueur
télé de Libération, David Dufresne, qui suivit l’émission,
d’abord pour en dénoncer le vide, puis, happé par ce vide, finit
par centrer sa chronique sur elle. L’écoutant, on pense à un phénomène
d’hypnose ou de sidération.
L’accumulation des appréciations,
parfois viscérales (Jean-Pierre Coffe, Philippe Sollers parlant de totalitarisme,
ou Jacques Séguéla) et souvent réflexives ou mesurées
(Jean-Claude Kauffmann, sociologue de l’intimité, Serge Tisseron, psychanalyste
spécialiste de l’image, ou bien Michel Field) fait bien comprendre le
caractère contradictoire de l’émission. Ainsi, Field a raison
de montrer comment, les scènes de sexe étant toujours court-circuitées
par des plans de paysages, cette émission " libérée "
a réintroduit la censure à la télé ; mais la
frustration ne fait-elle pas partie du plaisir de l’émission : toujours
attendre la scène " chaude " en sachant qu’elle
ne viendra jamais ? Ce documentaire parvient alors à pointer des
choses justes, en décalage avec la doxa pro ou anti-Loft : ainsi,
Luc de Pareydt, jésuite et philosophe, indique que l’obscénité
de l’émission n’est pas dans le sexe mais dans la monstration frontale,
immédiate, des sentiments - mettant ainsi le Loft en relation avec
toutes les séquences où quelqu’un pleure à la télé.
On retrouve le sens cinématographique
de Beineix quand, à la comparaison fréquemment citée du
Loft avec une prison, il confronte l’opinion de vrais prisonniers, évidemment
peu solidaires d’une telle affirmation – lesquels, à la différence
des lofteurs, sont montrés à contre-jour afin qu’on ne voit pas
leur visage. On l’apprécie aussi lorsqu’à l’évocation du
vide de Loft story il fait correspondre la première mise en scène
du vide télévisuel : le départ de Valéry Giscard
d’Estaing et le plan sur une chaise vide. Il nous fait sentir ici combien cette
émission a touché le politique, et plus exactement le nœud contemporain
de la politique et de la mise en spectacle.
Le dernier paradoxe alors
est cette question posée à tous les participants (sur des images
maintenant en noir et blanc) : seriez-vous rentré dans le Loft ?
Les plus critiques envers l’émission ne sont pas toujours ceux qui refusent
cette hypothèse… Là est sans doute l’enjeu de la fascination par
l’image, ce qui fait de Loft story, selon le mot de Mauss, un " fait
social total ", dont le documentaire de Beineix est alors lui-même
un nouvel aspect.
Bibliographie
DUFRESNE David, Toute
sortie est définitive, Paris, 2002
TISSERON Serge, L’intimité
surexposée, Fayard, 2001
Médiamorphoses
(Revue), mai-juin 2002 (en particulier l’article de J.P. Esquerazi)

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